A quoi sert la science

La science est posée sur un piédestal tellement haut que personne on l’espère ne va se hisser pour y lire au pied quel est sa finalité véritable. Celui qui s’y exerce s’aperçoit qu’il y a plusieurs réponses là où un monolythe est l’objet de tant de révérence. Secouée par Sokal la vérité sur la science ne reste cependant accessible qu’à celui qui la cherche (fusse-t-il chercheur).

Il est de ces questions incongrues qui sont les plus fécondes. Elles obligent à une remise en question prenant le risque de réponses iconoclastes mais aussi celui d’une découverte, quelquefois inattendue.

N’est-ce pas ce qui « fait avancer la science? » Oui mais dans quel Sens? Sur quel chemin? A quoi sert la science est bien une de ces questions qui établi peut-être la démarcation entre une véritable recherche scientifique et la gestion des affaires scientifiques. Le journal du CNRS s’interrogeant il y a quelques années sur « qu’est-ce qui est scientifique » répondait « ce qui est publié dans les revues de référence ».

On voit bien que la question de fond est évitée. La recherche scientifique en France est en crise. D’ici à ce que ce soit une crise des fondements! Et voilà que la question ici posée trouve aussi toute son actualité.

Qu’en dit l’Humanisme Méthodologique?

Il s’intéressera, bien sûr, à la question « à qui sert la science ». Si c’est aux seuls scientifiques alors juges et parties comme l’affaire Sokal en suggérerait l’hypothèse (Impostures intellectuelles, Sokal et Bricmont éditions Odile Jacob 1997) alors nul n’est plus autorisé à poser cette question. Circulez…

Si c’est aux hommes, à l’humanité, alors recherchons dans les motivations humaines réponse à la question et cela tout homme est en droit sinon en devoir de se la poser, ne serait-ce que comme citoyen.

Une carte des Sens, dite épistémologique, vient à point pour établir une typologie des réponses, celles qui disent à quoi elle sert effectivement, dans son projet même, dans ses méthodes et ses productions en même temps que l’on voit bien ce qui est un véritable service de l’humanité et ce qui la dessert.

On se focalisera sur le croisement de deux alternatives débouchant sur quatre types de réponses classiques.

A quoi sert la science? Première alternative

1) A un plus être auquel le connaître prendra part et dont il ne faut pas oublier le « co » qui évoque la relation au monde la relation sujet-objet notamment.
2) A un savoir plus dont l’accumulation viendrait à se rapprocher d’un savoir tout. Le monde, déjà là, serait alors à dévoiler pour que l’homme puisse sans doute s’avoir, avoir le savoir de soi, avoir par la raison sienne ce qui n’est pas de soi: le monde. Un rêve hégélien.

A quoi sert la science? Deuxième alternative

3) A progresser dans la qualité d’humain. Qualifier le monde qualifie l’homme qui s’y exerce et le rend plus capable de faire progresser l’humanité. Une finalité humaniste.
4) A régresser en se rendant à l’évidence de ce qui est, fatalement. Ce protocole de régression suppose un écart malin, sinon coupable qui fait de la science une nécessité celle de fixer ce qui doit être constaté, sans écart tolérable.

Examinons alors quatre types de réponses:

a) Un plus être régressif, la volonté de puissance. A quoi sert la science? à rendre les hommes puissants, moins impuissants devant l’adversité, celle des autres, de toute altérité. Posséder la connaissance est un enjeu de rivalités et le moteur de la production scientifique. On voit bien que celle-ci vaut pour les armes qu’elle fourbit au service des combats humains.

Il y a alors jusqu’à la toute puissance divine ou plutôt celle du mal que la science se doit de dérober.

C’est le projet scientifique dont le critère est inscrit dans la motivation profonde.

b) Un savoir de progrès, l’idéal rationaliste. Il invite à poursuivre l’examen par la Raison des réalités. La science permettra alors d’autant mieux l’exercice opératoire de cette même Raison. Elle accumule le savoir qui permettra quelque savoir faire ultérieur. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter, le progrès de la science est une fin en soi puisque la Raison en est l’alpha et l’oméga, le vecteur et le moteur.

Cette science est celle d’une humanité sans être, sans âme, elle énuclée l’humanité de son essentiel au profit d’un mode d’exister rationalisé. Science d’une saison sèche duement cataloguée en disciplines et monumentalement instituée.

c) Un savoir régressif, le prétexte d’un anti-humanisme radical. Le mobile c’est d’établir une trame, un faisceau de certitudes, un discours radical qui ne laisse aucune place à un principe d’humanité qui puisse « transcender » la réalité.

Le sujet déjà est suspect et la méthode d’éradication systématique de toute subjectivité le critère du scientifique dont on se demande d’ailleurs quelle entité peut en valider l’exigence. Mais la science ne se produirait-elle pas, par le biais de l’agent humain, selon les lois qui la régissent, scientifiques?

C’est l’un des mobiles (humain) actuellement particulièrement puissant parce qu’il désarme l’homme de tout discernement, lui interdisant de se poser même la question ici posée. Evidences et certitudes absolues, essence du totalitarisme.

On préfèrerait ici volontiers la question « comment la science se produit » escamotant de ce fait le pourquoi, le à quoi et à qui ça sert, ce que le pré-texte malin cherche à dissimuler. Il n’est que voir la violence qu’un moindre dévoilement du Sens de la pratique scientifique suffit à provoquer.

d) Un progrès dans la connaissance, réaliser et révéler le mystère de l’homme.

Par la science l’homme « réalise » le monde humain, le connaît et l’édifie. Par cela même elle révèle l’homme et lui donne à comprendre ou discerner toujours l’auteur humain au travers de son uvre réalisée – connaissances et productions.

L’activité scientifique est donc tout aussi bien un travail révélateur de l’humanité aussi bien que « réalisateur » du monde. Il faudrait d’ailleurs se souvenir de la vie intérieure et des mobiles des grands découvreurs de l’histoire des sciences, si tant est qu’ils nous aient été transmis par la tradition scientifique. Si ce n’est pas le cas il nous reste la lecture symbolique de la production et des produits de la science comme de toute uvre humaine. Lecture symbolique, production symbolique sont travail sur le Sens, propre de l’homme, fondement de toute expérience à laquelle la science participe.

A quoi sert la science? Cette dernière réponse est de tout temps, de toute humanité mais qui ne voit qu’elle est encore à venir et en tout cas un réenchantement à contre courant du dessèchement régressif qui en tuera bientôt jusqu’au goût. La chute drastique du nombre d’étudiants dans les matières scientifiques ces dernières années en France en est sans doute le symptôme avant coureur.

L’humanisme méthodologie n’en a pas fini avec cette question, avec le discernement des errances et de la vocation humaine de la science.
Elle a encore à dire sur des équivalences dans cette vocation là, où science n’est rien d’autre que conscience, qui n’est rien d’autre qu’expérience réalisée, connaissance et compétence humaine.
Science sans conscience, ni avec. Science, conscience humaine en projet, réalisante par ses objets et révélante par son sujet. Tel est le projet scientifique qui les intègre et détermine les multiples buts et méthodes qui y concourent.

Au-delà encore, c’est aux dimensions de l’expérience et de la conscience révélatrice que l’humanisme méthodologique aura recours. Il mettra en évidence les dimensions souvent tronquées du processus de connaissance en même temps que les modes de conscience à mobiliser.

La théorie de la grande unification (des forces) dans ce qui a été la science reine, la physique, trouverait plus justement en l’homme son principe intégrateur et les sources de sa diversité, c’est-à-dire aussi, en l’homme révélé, les soubassements de la science réalisée.

La science est une réalisation virtuelle du monde de l’homme et donc ainsi un révélateur de ce dernier.