Les services sur Internet

Les raisonnements traditionnels appliqués à Internet produisent des ambitions et des projets comdamnés d’avance. Les leçons du passé, plus nourries d’obstination que de discernement, n’entraineront qu’une succession d’échec. Les réflexes de pensée issus d’un monde de consommateurs passifs sont toujours à l’ordre du jour.

Aujourd’hui la recherche de nouveaux services apparaîtsouvent comme la seule issue salvatrice pour le développementdes NTIC. Or un grand nombre de démarches sont vouéesà l’échec, comme dans le passé, faute dediscernement pour des raisons similaires.

En effet on peut dire que :
– Ce qui va dans le Sens du phénomène Internetsera approprié et engage un cercle vertueux de développement.
– Ce qui va dans un autre Sens est inapproprié et quelquesoient les puissances investies est condamné àl’échec.

La clé pour développer denouveaux services est donc :

Quel concept de service estapproprié au phénomène Internet.

En effet l’analyse des Sens et Cohérencesde la notion de service croisée, avec la compréhensiondu Sens du phénomène Internet montre les impasses(diSensus) et les possibles (conSensus). Il y a des servicesqui aujourd’hui sont pensés pour Internet et qui sontincompatibles. Il faut trouver d’autres voies.
On examinera d’abord la question à la lumière duSens du phénomène Internet.

Le phénomène Internet, c’estcet engouement mondial qui fait que malgré la complexitéde l’ordinateur des centaines de millions de personnes sont abonnéeset continuent à s’abonner. C’est aussi ce développementqui fait fi des campagnes d’inquiétement du public (ah!l’insécurité d’Internet). C’est ce qui aussi déjàcomme aux USA fait chuter massivement la consommation télévisuelle.C’est encore le lieu d’une créativité sans précédentportant sur toutes les dimensions de la vie sociale, économiqueà tous les âges et à toutes les échelles.

Or la première donnée àprendre en compte est le fait que le phénomèneInternet est porté par un mouvement de mutation sans précédent.Il s’en nourrit et le nourrit, il le révèle etle réalise.

Or ce mouvement de mutation s’accompagned’une crise des représentations et des modèlesqui rend caduques la plupart des grilles d’analyses et génèreune grande confusion intellectuelle jusque dans le vocabulaire.Il s’accompagne aussi d’une crise de Sens qui rend le discernementdu Sens des phénomènes qui se produisent particulièrementdifficile parceque cela ne va plus de soi. Aussi le discernementdes Sens devient particulièrement indispensable tout enrestant contre-culturel pour beaucoup.

C’est le fruit de cette analyse qui permetcependant de saisir les caractéristiques discriminantesles plus significatives du phénomène Internet quel’on va examiner ici.

1) Internet est affaire de relations,information et communication ne sont qu’accessoires.

De ce fait tous les discours sur les technologiesde l’information, sur la recherche d’information comme principaleutilité d’Internet, sur la fourniture d’informations commeservice significatif est hors sujet.
En effet il ressortissent d’un concept télématiqueantérieur mais pas du phénomène Internet.Il y a donc toute sa place mais pas dans la ligne principaledu phénomène.

C’est certainement un obstacle majeur audéveloppement d’Internet dans les entreprises oùil a été assimilé à l’informatiqueet au système d’information. Les paradigmes conceptuelset méthodologiques ne sont pas ceux d’Internet et trèssouvent l’intranet a été une défense contrela philosophie d’internet et explique la faiblesse des usagesdans les entreprises.

Cela ne veut pas dire qu’Internet ne véhiculepas de l’information mais ce n’est pas sa signification essentielle,ce qui en fait la valeur et donc permet d’évaluer un serviceéconomiquement viable. La critère économiqueest aussi un révélateur de pertinence.

En second lieu assimiler Internet àun nouveau média est une erreur non pas que techniquementcela ne soit pas mais ce n’en est pas le Sens essentiel. Aussitoute la distribution massive de services médiatiquespar le biais d’Internet (vidéo, radio, musique, presse)est vouée à l’échec économiquement.Cela ne veut pas dire que rien de cela peut exister sur Internetmais cela n’en est pas le Sens. Là aussi le paradigmemédiatique n’est pas celui d’Internet. De ce fait il restepertinent de vouloir développer de nouveaux services médiatiquesmais pas sur Internet. La télévision numériquepar exemple en serait un vecteur approprié.

2) Internet est affaire d’initiativepas de passivité

Cet autre critère est lui aussidiscriminant.

Tous les services qui sont fondéssur une consommation passive de la part des internautes sontvoués à l’échec. Cela ne veut pas dire qu’ilne peut y avoir consommation sur Internet mais que ce n’est pasle Sens du phénomène. Par le biais d’Internet,l’internaute est à un poste de commande, de navigationce qui donne au choix de l’ordinateur comme vecteur sa valeursymbolique incontournable (même sans compétencetechnique). Il ne s’agit pas alors d’un appareil informatiquemais d’un poste de commande de l’entrée en relation etd’accès à des mondes auxquels il participe.

Ce poste de commande est ainsi l’écranpar lequel il accède à des mondes et des personnesmais qui ne doit pas être une fenêtre de l’intrusionque cela deviendrait s’il devenait passif (push). Il y a la télévisionpour cela et bien d’autres vecteurs. De ce fait et on le verratout à l’heure, tout service conçu comme une distributionautomatique de quelque chose est incompatible avec le Sens duphénomène Internet. Il faut lui réserverdes vecteurs accessoires. De même tout service automatiquedont on parle à propos par exemple de maison intelligenteest incompatible avec l’esprit (le Sens) d’Internet. Cela n’empêchepas d’y songer mais sur d’autres lignes d’actions.

Le problème, là aussi, c’estque l’on ne voit et comprend d’Internet que ce qui va dans leSens qu’on lui donne à priori. De ce fait ce qui est ditlà est inaudible à qui n’en perçoit pasle Sens alors qu’il voit exactement le contraire de ce qui estaffirmé ici. Il faut dire que de cette façon l’intimitédes usages et de l’extraordinaire diversité des expériencesest masqué au profit d’utilités supposéesrationelles.

3) Le fondamental. Le Sens d’Internet,c’est la libre possibilité d’établir des relationsde proximité, à distance.

Le jeu symbolique de proximité -distance est une clé majeure des relations humaines.

Le jeu des distances dans l’espace, parécrans interposés, etc. et des proximitéspermises par une multiplicité de modalités relationnelles(synchrones, asynchrones, etc.) est un facteur essentiel de développementd’Internet. Tout service qui facilite en tout lieu d’espace lesjeux relationnels est cohérent avec le phénomèneInternet. Il n’est donc pas incohérent de réunirtéléphonie et Internet et la libre mobilitéest un facteur tout à fait cohérent avec le libredéveloppement des relations.

Par exemple le téléphoneportable a accru grandement les proximités relationnellesà distance, c’est-à-dire un phénomèneporté par la même vague, même s’il reste réduitsur un certain plan on le verra.

Sera service approprié ce qui s’inscriradans une relation humaine et la favorisera (dans tous les domaines).Tout ce qui en fait abstraction et se réduit aux objetssans la relation est voué à l’échec (économique)dans ce contexte là.

4) Internet est un phénomènefondé sur un paradigme communautaire et non pas individualiste.

De ce fait si on conçoit l’internauteindividu isolé même en relation avec un autre internauteisolé, on passe à côté du Sens duphénomène Internet. En effet, le jeu des relationsde proximité à distance est ce qui tisse la trameet l’étoffe de communautés (de vie ou de travail)et y inscrit la réalité existentielle de la personne.La communauté n’est pas le réseau des liaisonsinterindividuelles, autre paradigme inadéquat (cf aussiMichel Serres « hominescence »). Elle est aussi une scène,un monde virtuel partagé où se réalise l’existenceindividuelle. (Chaque personne participe à de multiplescommunautés où se réalisent ses individualitésdans les espaces virtuels, mondes multiples qu’il fréquente).

C’est là un paradigme essentieldu Sens de la mutation et du phénomène Internetqui lui donne une possibilité de réalisation sansprécédent et dans tous les domaines de la vie personnelle,politique, institutionnelle, économique, professionnelle,etc…

De ce fait est service appropriésur Internet ce qui favorise cela:
– Faciliter l’apprentissage et l’établissement de relationssur Internet.
– Faciliter la constitution, l’animation et le développementdes communautés virtuelles de tous ordres (et aussi lescommunautés de communautés).
– Faciliter la construction et le développement des mondesvirtuels dédiés à chaque communauté

Par exemple on voit bien que information,communication peuvent avoir leur place accessoirement mais dansle contexte spécifique d’une communauté et sonmonde virtuel propre (son économie) et selon les Senset valeurs de cette communauté jamais pour eux-mêmesmais toujours dans un « service communautaire » oùs’inscrivent les personnes.

On a là les principales clésdiscriminantes du Sens du phénomène Internet dansla mutation, donc du paradigme sur lequel tout service pertinentdoit être fondé ou sinon être vouéà l’échec.

Dès lors on voit bien que sur lefond les problématiques clés auxquelles répondentles services pertinents sont toutes liées ensemble:
– l’initiative
– la relation de proximité à distance
– les communautés « virtuelles »
– les mondes virtuels ainsi créés.

On voit aussi que la connaissance profondede ces phénomènes est particulièrement précieuse.Cependant on se souviendra que les modèles conceptuelsdisponibles, notamment issus des sciences humaines ou sociales,sont pour une grand part invalides, qu’ils soient anciens oudans le courant des modes.

C’est pourtant, on va le voir, le fondde compétence indispensable sur lequel peuvent se construireles services cohérents avec le développement duphénomène Internet.

SENS DE LA NOTION DE SERVICE

On en retiendra quatre dont on examinerala pertinence par rapport au phénomène Internet.

Dans un premier Sens, le service est la mise à disposition d’unbien.

C’est donc la distribution d’une part etle « bien » d’autre part qui spécifient le service.Il n’y a là nulle « relation » et donc nulle participationà une communauté virtuelle. Nulle proximitérelationnelle mais que de la distance, nulle initiative du « client »face à ce service sinon celle de zapper.

C’est certainement une idée quivient très souvent. Qu’est-ce que l’on pourrait distribuerpar le canal d’Internet à un très grand nombrede clients consommateurs. C’est le premier mode d’emploi de l’échec.Non que cela ne puisse exister mais aucun modèle économiquepérenne n’est envisageable par incompatibilitéde Sens entre cette conception du service et le « marché »que constitue l’univers d’Internet.

Dans un second Sens, le service est la mise à disposition d’uneressource de haute valeur ajoutée.

On imagine assez bien l’accès àdes banques d’information, des systèmes experts par exempledans tous les domaines professionnels ou même de la vieprivée. L’idée de société du savoirn’en est pas éloignée.

C’est un second scénario de l’échec,non pas parce que c’est impossible mais parce que ce n’est pasle Sens dominant du phénomène Internet. Le paradigme,concentration de l’offre, dispersion de la demande n’est pasnon plus tout à fait compatible avec le paradigme Internet.Il l’est par contre pour des systèmes de distributionqui utilisent des techniques voisines. On ne peut donc développerce type de service sur Internet en dehors de l’histoire singulièrede telle ou telle communauté virtuelle pour contribuerà construire son monde. Mais alors là est le service.

Dans un troisième Sens, le serviceest une relation de type ancillaire.

On aurait pu imaginer qu’Internet serveà des individus pour « commander » à d’autresquelques prestations.
On pourrait penser qu’il y a là un jeu relationnel àexplorer. Cependant cette dimension « contrôle d’autrui »ne semble pas avoir trouvé beaucoup de réussitesur Internet signe qu’il y a une certaine incompatibilité.Cependant c’est là un risque qui peut se faire jour àla marge et dans certaines communautés virtuelles. Ilfaudrait veiller par exemple que certains « call center »ne dérivent pas dans ce Sens.

Dans le quatrième Sens, le service s’inscrit dans une relation oùs’exerce une compétence professionnelle (métier)auprès d’une personne, inscrite dans un contexte donné,et qui vise à l’aider à y accroître sa maîtrise.

Le champ qui s’ouvre ici est celui de métiersdéfinis par une compétence d’aide à unemeilleure maîtrise (compétence, capacité,possibilités…) d’une situation spécifique.
Dès lors ce type de service apparaît comme toutà fait cohérent avec le phénomèneInternet.

Ce qui le caractérise c’est:
– un espace d’exercice, virtuel, communautaire,
– une relation de service (proximité et distance àgérer)
– le service d’une meilleure maîtrise (initiative, relations,participation à la communauté virtuelle, entrecommunautés…)
– des métiers dédiés à de multiplesproblématiques (professionnelles, personnelles, sociales,économiques, politiques, etc.).

Du même coup on voit bien qu’un trèsgrand nombre de « services » existants peuvent êtreréajustés au contexte du phénomèneInternet mais souvent avec une transformation du métier.

Exemples :
– Un service « commercial » au métier repensépour Internet (relation de service…).
– Des services publics au métier qui doit passer d’unelogique de procédure formelle à une logique deprocessus relationnel
– Des services éducatifs qui peuvent se concevoir dansde nouveaux espaces de communautés virtuelles et de nouvellesproximités relationnelles de service.
– Des services de santé s’inscrivant dans une relationet un contexte communautaire (ex. communautés soignantes).
– Des services professionnels aux entreprises….
etc.

On voit alors que l’on rejoint un certaincourant de société tout à fait significatifde la mutation et donc parfaitement cohérent avec le phénomèneInternet.

Dès lors l’invention et la promotionde nouveaux services doit correspondre à l’utilisationdes logiques et des moyens d’internet, dans les espaces virtuelset communautaires crées ou à créer et quirejoint, en l’amplifiant massivement, le mouvement de sociétéémergent avec la mutation.

Bien sur il faut abandonner les conceptionstrop faciles d’un service qui fait trop abstraction des situationsrelationnelles et communautaires des personnes – clients et quisont contraires à la logique du phénomèneInternet.

Bien sur il faut déployer une créativitéconstruite sur les problématiques de la maîtrisepersonnelle des situations communautaires et aussi bien doncdes problématiques communautaires.

Bien sur il faut rentrer dans une plusgrande proximité (avec les distances nécessaires)des problématiques humaines liées aux modes devie et de travail des clients. Il faut aussi envisager la transformationet le développement de nouveaux métiers de services.

Tout cela contribue à développerune « société du service » tout àfait nouvelle (mutation). Le terme est d’ailleurs infinimentplus significatif qu’une société de l’informationou du savoir.

En référence aux élémentsd’une théorie des usages que j’ai formulée, lesservices en question (dans ce quatrième Sens) peuventêtre différenciés en trois catégories.
– Les services basés sur l’utilisation d’une fonctionou d’un outil de base d’Internet surtout dans une phase d’apprentissageset d’appropriation culturelle.
– Les services liés aux usages communautaires centréssur la constitution l’animation, le développement de communautés(de toutes tailles) ou sur l’intégration et la participationdes personnes à la vie et au développement de lacommunauté.
– Les services liés à des usages professionnelscentrés sur des processus collectifs de production (matérielset immatériels).

Il faut savoir que tout un ensemble conceptuelet méthodologique (ingénierie du Sens et des cohérenceshumaines) est disponible pour cela, compréhension desproblématiques, invention des services, stratégiesde développement et d’appropriation des innovations (développéspar l’auteur).