L’avenir des coopératives agricoles

Les coopératives agricoles sont potentiellement des structures de concourance exemplaires particulièrement avancées. Pour cela il faut qu’elles dépassent l’image d’épinal d’une coopération purement matérielle et se déprennent du modèle industriel et spéculatif. A ce prix, non seulement elles peuvent articuler activités et territoires et constituer un modèle avancé d’économie communautaire rurale.

Au moment où l’économie se mondialise, la désertification rurale, la réduction de la population agricole, la complexification de l’économie financière, des réglementations européennes et du GATT entraînent une perte des racines, des solidarités de proximité. Même le développement semble plus soumis aux impératifs extérieurs qu’à la volonté et l’originalité de valeurs propres.

Cependant avec la notion de développement approprié, c’est un renversement de la fatalité en opportunité qui est proposé. Il s’appuie sur un ressourcement, un réenracinement de la volonté et des forces d’entreprendre dans les pays, les cultures, les communautés humaines.

Même les entreprises se veulent citoyennes. Il faut comprendre la rupture que cela représente par rapport à un modèle économique qui s’est opposé au social, un modèle industriel qui s’est bâti à l’encontre des préoccupations de la cité et ne voulait avoir d’outre lois que la sienne déniant même au politique le droit d’y intervenir.

On a vu dans le monde coopératif ce conflit entre une tradition identifiée aux valeurs de solidarité et une modernité qui, au nom de l’efficacité, cherchait ses modèles du côté de l’entreprise.

Le tiraillement n’est pas achevé même si pour beaucoup le deuxième terme sort vainqueur, à preuve, l’extermination de nombreuses petites coopératives restées trop traditionalistes, ancrées dans leur terrain ou leur village.

Cependant une autre période s’ouvre. Le modèle d’entreprise de référence pur et dur emprunté au plus puissantes traditions industrielles ou celles de la grande distribution est par ailleurs mis en doute.

Le CNPF lui-même dans un récent rapport sur la formation des dirigeants, observait la trop grande réduction de celle-ci aux pratiques de la gestion s’alarmant de l’absence de formation à l’animation des hommes et à la responsabilité citoyenne dans l’environnement qui est le leur.

Aujourd’hui, les milieux dirigeants les plus avancés conçoivent que devant tant d’étendue et d’incertitudes les dirigeants ont une responsabilité de Sens à donner. Cela veut dire qu’au delà des cadres, logiques, objectifs et stratégies, il faut aussi se soucier de la signification humaine individuelle et collective, personnelle et culturelle de l’entreprise, ses activités et ses façons de faire.

Après l’émergence de la question des valeurs et de l’éthique, l’intervention brusque de la justice dans les affaires d’entreprises montre qu’un basculement est en train de s’opérer.

Faudrait-il que le monde coopératif suive de loin et en arrière ce mouvement ? On pourrait le croire à certains discours plus économiste que de raison. Faut-il qu’à marche forcée le mouvement coopératif se détruise au nom de la modernité pour épouser un modèle d’entreprise strictement matérialiste et déjà dépassé ?

Il est temps au contraire que la coopération redécouvre qu’elle est porteuse d’une expérience qui devient aujourd’hui la plus précieuse : savoir maîtriser l’économique pour une communauté d’adhérents et leur pays.

Il ne s’agit plus alors d’opposer tradition et modernité, mais de féconder l’un par l’autre.

Pour cela, il faut renoncer à la fois à des façons anciennes et modernes. A une pseudo démocratie économique toujours démentie dans la réalité. A un idéal technocratique et gestionnaire qui voudrait s’abstraire d’une base humaine et sociale au profit d’une pure rationalité économique.

En fait, il faut réunir le meilleur de ces deux voies, une base communautaire, une rationalité entrepreneuriale.

Pour cela, c’est à un nouveau type d’organisation, à un nouveau pacte social, à un nouveau modèle d’entreprise qu’il faut faire appel.

L’observateur attentif discernera que pour de nombreuses entreprises se complexifient déjà les liens contractuels ou partenariaux entre elles, avec les pouvoirs publics, les universités et les écoles, les services sociaux, les conseils et partenaires de services etc.

On peut le comprendre comme un pur mécanisme de système ou encore comme une nouvelle société économique.

La théorie des Cohérences Humaines développée par l’Institut Cohérences a mis en évidence la nature de cette nouvelle perspective, de ce nouveau lien (la « Civilisation de l’Entreprise » par Roger NIFLE 1987).

Le concept de « concourance » dérivé du verbe concourir montre bien que le lien est établi par le « concours » apporté à un but commun, à un développement collectif, à une entreprise partagée.

Avec les notions d’entreprise de concourance, d’économie de concourance, de lien de concourance et aussi de structures de concourance, il s’agit d’une conception et d’une pratique humaine et entrepreneuriale particulièrement avancée.

LES STRUCTURES DE CONCOURANCE

Il s’agit d’une organisation entrepreneuriale dont les participants peuvent être des particuliers, des entreprises, des collectivités et dont le but est un développement approprié.

Chaque partie prenante concoure au projet commun sans que cela exclue le projet propre de chacune. Il y a donc, dans les structures de concourance, des parties dont l’activité est entièrement vouée à l’entreprise commune et d’autres qui y consacrent une part de leur activité. Il est possible pour certains de concourir à plusieurs structures de concourance.

La relation contractuelle porte sur la nature et les modalités du concours. Ce dernier s’évalue et se mesure par rapport aux enjeux de l’entreprise, du projet ou du développement.

On peut donc par exemple observer qu’une coopérative peut être pensée comme une structure de concourance avec des « adhérents » (le terme serait sans doute à modifier) qui sont des producteurs, des entreprises, d’autres coopératives et aussi d’autres partenaires fournisseurs, prestataires, d’autres structures, des collectivités locales, des organismes professionnels, etc.

La justification de chacun dans une structure de concourance est d’abord le concours qu’il y apporte et la juste rémunération qu’il en retire par rapport aux fruits auxquels il a participé.

Ainsi la solidarité et l’autonomie des parties prenantes sont compatibles. L’intérêt local et celui des structures économiques concoure à un même développement, l’entreprise est dans la cité.

Le terme de concourance est plus large que ceux de coopération, partenariat, participation, association, etc. Il porte ainsi sur une implication plus globale dans les enjeux commun. Par contre il a une valeur plus spécifique par le fait que le but commun est la justification de la structure, de la façon d’y animer le cadre des relations, de l’échelle de valeur commune pour mesure du concours de chacun.

Depuis la question, si actuelle, du rapport au travail et à l’emploi jusqu’à celle du rapport de l’entreprise avec la cité ou la réconciliation de l’économique et du social, le concept de concourance a un pouvoir intégrateur très fort. Il résoud aussi autrement le problème de l’unité de projet ou de développement avec la diversité et même l’autonomie des parties prenantes.

Une des caractéristiques essentielles des structures de concourance est la nécessaire unité de Sens (donc de direction) combinée avec une diversité différenciée et flexible de modalités concrètes de fonctionnement.

Ainsi les structures de concourance ne se caractérisent pas par un modèle standard à imiter mais par des principes à intégrer, soutenus par un ensemble de méthodes et de règles à connaître. En cela, les structures de concourance laissent libre cours à l’innovation, l’intégration des différences, l’originalité culturelle. Par contre, elles sont fortes d’une puissance née d’un large consensus sur les principes, sur le Sens plutôt que simplement sur des formes standard.

Les structures de concourance sont de véritables communautés humaines engagées dans un développement approprié.

Aussi leur « gouvernement » doit il intégrer des aspects inhérents à ce fait tels que les dirigeants les plus avancés les envisagent.

Par ailleurs, la contractualisation des rapports se fait par l’évaluation des « potentiels de concourance » des personnes ou même des équipes, des structures, des entreprises par rapport au projet commun. Cela assainit les relations contractuelles qui ne sont plus un face à face, mais un côte à côte.

Le monde coopératif a déjà dans son expérience un grand nombre des ingrédients des structures de concourance. Cependant ses modèles idéologiques lui masquent souvent cette richesse pour en faire un handicap. Une appropriation du concept de concourance et de ses principes lui donnerait les atouts que cette richesse potentielle ignorée et même quelquefois méprisée lui promet.

Une fois n’est pas coutume, le monde agricole pourrait être par ce biais le fer de lance de l’innovation en matière de structures économiques, telles que les réclament l’époque actuelle.

Le concept de concourance avec celui de développement approprié et les apports de la théorie des Cohérences Humaines pour la pensée et l’action peuvent lui donner un avantage précieux.