L’analyse des situations

Initiation à la question du Sens et l’approche des situations

SOMMAIRE

PREAMBULE

I – L’APPROCHE DES SITUATIONS

1) Limites de l’approche objective

a) L’inventaire de facteurs significatifs

b) La photographie ou l’état de la situation

c) Les mesures

2) La question du Sens

a) Principes et définitions

b) Articulation des concepts et conséquences pratiques

c) Cartes de cohérences

II – LES APPLICATIONS, DEMARCHE, METHODES TECHNIQUES

L’ANALYSE DE SITUATIONS

1) Champs et exemples d’application

a) L’analyse de situation pour l’entreprise

b) L’analyse de situation pour les pratiques professionnelles

c) L’analyse de situation pour des problèmes généraux

d) L’analyse de situation pour des problèmes culturels

2) Méthodologie de l’analyse de situation

a) L’ajustement

b) L’investigation

c) La communication des résultats

DEUXIEME PARTIE
DIRECTION ET PRISE DE DECISION, POLITIQUES ET STRATEGIES

1) principes de la décision

a) Les décisions sur les réalités

b) Les décisions sur le Sens

2) Direction générale

a) Evaluation des situations

b) Choix du Sens

c) Expressions politiques

d) Expressions stratégiques

e) Régulation et pilotage

f) La fonction de dirigeant : un nouveau métier

3) Décisions sur les cohérences : politiques et stratégies

a) Renforcement ou changement d’orientation

b) Création de cohérences

c) Ressourcements

d) Changements de cohérence

e) Fusions de cohérences

POUVOIR FAIRE, L’ACTION ET LA COMMUNICATION

1) Principes de l’action

a) Le Sens de l’action

b) Le Sens du pouvoir faire

c) Réalisation, théorie de l’action

d) Théorie de la communication

e) Le changement

2) Exemples d’application

a) L’animation stratégique

b) L’innovation

c) Le marketing

PILOTAGE ET PRATIQUE QUOTIDIENNE

1) Utilisations pratiques d’une carte de cohérence

2) Intérêts de la démarche sur le Sens dans la pratique quotidienne

3) La première carte générale des cohérences.


PREAMBULE

Dans les entreprises, les institutions, les organisations et pour l’individu lui-même, les certitudes des dernières décades laissent la place à de nouvelles inquiétudes ou de nouvelles espérances.

Ce qui est certain, c’est que des changements profonds sont en train de s’opérer dans la manière de considérer la finalité des oeuvres humaines, pour des questions de doute, d’ouvertures, de contraintes, de menaces ou d’opportunités nouvelles.

Les méthodes de direction, la manière d’aborder les problèmes, subissent les mêmes mises en question. Le progrès, la croissance ont généré leurs propres outils d’analyse, leurs propres méthodes de travail, leurs propres processus de décision. Sans qu’ils soient tous devenus caducs, le besoin se fait sentir d’avoir, dans un monde incertain et complexe, une autre approche des problèmes.

Il faut un autre regard sur le monde qui couvre cette fois et les directions encore présentes du passé, et les promesses incertaines de l’avenir.

Une nouvelle approche des situations doit permettre de mieux en maîtriser la complexité, tant sur le plan technique que sur le plan humain. Elle doit aussi être suffisamment globale pour donner le recul nécessaire à la décision politique et suffisamment pragmatique pour éclairer et piloter l’action et la décision quotidienne.

Etre dirigeant ou entrepreneur garde non seulement sa valeur personnelle et sociale mais doit devenir en plus un métier. Ce métier, fondé d’abord sur la personnalité, s’exerce dans la capacité à évaluer les situations, prendre la responsabilité politique des choix, pouvoir faire ou faire faire et enfin piloter. Tout cela peut être aidé par des méthodes et techniques appropriées mais qui doivent plus se fonder sur un savoir-faire, une qualité d’analyse et de synthèse que sur un arsenal complexe de techniques qui, en définitive, échappe au dirigeant.

Le présent essai se propose de montrer en quoi la théorie et les méthodes des Cohérences Humaines répondent à cette nécessité contemporaine, et comment se jouent l’évaluation des situations et les interventions sur les situations.

Traiter de l’évaluation et de l’intervention dans une situation demande d’expliciter d’abord ce sur quoi on travaille, ce qu’on peut appeler une situation. Autant ce mot est d’usage banal, autant l’expérience montre la difficulté de définir de quoi il s’agit.

Que l’on parle de situation internationale, de la situation économique, de la situation d’une entreprise ou celle d’un individu, la difficulté reste la même. L’occultation de cette question et de quelques autres peut condamner aujourd’hui certaines méthodes à l’impuissance.

Dans une première partie seront explicitées les notions de situations dans l’ordre des réalités mais aussi dans un ordre du Sens. La question du Sens est en général laissée de côté ou abandonnée à l’arbitraire, cela conduit notamment à la vanité des analyses ou des prévisions dont l’histoire actuelle est pleine d’exemples, cet échec pourrait faire sombrer dans le pessimisme méthodologique auquel certains se laissent déjà tenter au nom du passé pendant que d’autres peuvent se laisser séduire par des pratiques magiques et incantatoires où les discours et les images se substituent à l’analyse et même aux actes. Cela peut être pourtant l’occasion de s’ouvrir à une démarche qui prenne en compte ce qui a été le plus souvent ignoré faute de concepts et d’outils appropriés : le Sens des situations. Il ne suffit plus d’appeler de ses voeux le Sens et la cohérence, encore faut-il savoir aussi de quoi l’on parle.

A partir de cette nouvelle manière d’envisager les situations, il faudra se reporter aux quatre grandes questions que l’on peut se poser :

La question du Sens, diagnostic et prospectif. C’est celle de l’analyse des situations, l’explication de ce qui se passe et de l’orientation des événements.

La question du choix, politique et stratégie. Le choix est l’expression d’une volonté que l’on voudrait cohérente. Cela implique : sa pertinence avec la situation, l’unicité et la convergence de ses expressions.

La question du pouvoir, action et communication. C’est le passage de la volonté aux résultats. Il s’agit de faire et le plus souvent de faire faire et pas n’importe quoi.

La question du pilotage, évaluation et régulation. Les événements quotidiens préparent l’avenir. Encore faut-il pouvoir les orienter au jour le jour et les placer pour cela dans la ligne des choix.

Quatre grands chapitres seront consacrés à ces applications après la présentation des principes fondamentaux de l’approche des situations par la théorie des Cohérences Humaines.

I – L’APPROCHE DES SITUATIONS

1) Limites de l’approche objective

Notre époque scientifique et technicienne tend à objectiver tout ce qu’elle cherche à étudier et sur quoi elle veut intervenir.

Une situation peut d’abord se définir par l’ensemble des éléments qui la composent et des relations entre elles. On appellera cela une « réalité ». Connaître la situation pourrait consister à connaître tous ses éléments et leurs relations. Les approches habituelles y tendent au moyen de diverses simplifications.

On peut appréhender une situation de différentes manières :

a) L’inventaire de facteurs significatifs. On peut rechercher les éléments les plus significatifs parmi l’infinité de ceux qui font toute situation réelle. Il y a là une grosse difficulté presque toujours occultée. Quand on fait un tel choix on ne sait pas de quoi ces éléments sont significatifs. Question de Sens, de « bon sens » dira-t-on pour s’en sortir par une pirouette. En fait, le choix est toujours fondé sur des présupposés pratiquement jamais explicités. De ce fait, les présupposés qui se retrouvent tout simplement dans les conclusions d’une étude, sont toujours ainsi vérifiés.

Inutile de dire à quelles erreurs et à quelles manoeuvres cela conduit. On pourrait parler à juste titre de manipulations mais aussi d’auto manipulation. Un pessimiste prouvera ainsi que tout va mal, un optimiste le contraire.

L’échec actuel de beaucoup de travaux en prospective en est un exemple. Paradoxalement, elle deviendrait utile quand les choses changent mais elle se découvre alors impuissante.

Quelqu’un voudrait-il faire un travail prospectif à un horizon de 20 ans qu’il ne pourrait pas ne pas intégrer l’importance de l’énergie ou des matières premières. Or, qu’est-ce qui prouve l’importance de ces facteurs dans un scénario de l’an 2000 ? Rien d’autre qu’une Sensibilité actuelle, d’ailleurs discutable et discutée. L’ennui, c’est que tout scénario fondé sur la prise en compte d’un certain pessimisme actuel en la matière ne peut rien faire d’autre que le reproduire et même éventuellement l’amplifier dans ses conclusions. Pour en sortir il faudrait être en mesure d’évaluer le Sens relatif d’un élément donné dans la situation générale. C’est l’une des propositions de la théorie des Cohérences Humaines.

b) La photographie ou l’état de la situation. On parle beaucoup de photographie dans l’analyse des situations. On parle aussi d’états, de bilans. La situation d’une entreprise s’estime notamment au travers de son bilan élaboré en fin de chaque exercice. Bilan de ses actifs et passifs destiné notamment à mettre en évidence ses résultats. Tout le monde sait qu’un bilan ne suffit pas pour évaluer la situation d’une entreprise et tout analyste cherchera à avoir connaissance de plusieurs bilans. En fait, cette recherche de plusieurs états marque la nécessité d’intégrer une dynamique qu’occulte la photographie instantanée. Entre la photographie et la situation réelle il y a autant de différence qu’entre la mort et la vie. C’est encore une question de Sens. L’approche statique des situations ne permet pas de dire où ça va. Y répondre serait connaître le Sens de la situation. Celui-ci malgré tout ne se résume pas comme, on serait tenté de le croire, à une simple trajectoire.

C’est une erreur d’interpoler ou d’extrapoler la trajectoire à partir d’une succession d’états comme on le fait couramment. Cela correspond à une certaine conception du mouvement, sinon du temps, et renvoie au problème précédent du choix des éléments dont la succession des états va suivre la bonne trajectoire.

On peut ainsi, pour poursuivre l’exemple utilisé, découvrir une entreprise en pleine déconfiture derrière une succession de bilans engageants. Or cette déconfiture n’est pas le fait d’un malheureux accident mais déjà inscrite dans sa dynamique. Ce pouvait déjà être le Sens de la situation bien avant que les photographies ne le laissent apparaître. On aurait pu alors vouloir « photographier » plus particulièrement ce qui pouvait l’indiquer plus vite. On retourne au problème précédent. Encore aurait-il fallu savoir de quel Sens il s’agissait et quel élément en est significatif.

c) Les mesures. Pour appréhender une situation on peut en établir la mesure. En pratique on peut effectivement chercher à mesurer un certain nombre de choses. Le problème est alors celui du mesurable et du non mesurable dans une situation. Ne sont mesurables que des éléments objectifs; l’humeur des dirigeants, le climat social, les résonances d’un événement quelconque ne sont pas mesurables. Et pourtant on sait bien que cela peut être tout à fait déterminant dans l’histoire d’une situation. Sous prétexte que ces facteurs sont subjectifs, ils sont soit éliminés des études, soit laissés à l’arbitraire de l’interprétation ou des choix. Quand on parle d’arbitraire ici, c’est en se référant à l’absence de toute modalité explicite de prise en compte de ces éléments.

Appréhender le plus justement cette subjectivité est encore une question de Sens. C’est une question à laquelle la théorie des Cohérences Humaines s’attache à répondre.

Toute situation, en effet, intègre des éléments objectifs et des éléments subjectifs, notamment par la présence d’être humains, ne serait-ce que celle de l’observateur. Rien ne sert de mesurer avec rigueur des éléments d’une situation si on élimine les autres sans connaître pour s’y retrouver ni le Sens général de la situation, ni le Sens particulier de tel ou tel élément dans la situation.

Tout cela conduit à envisager de plus prêt cette question du Sens des situations. La particularité des démarches issues de la théorie des Cohérences Humaines, est non seulement de la prendre en compte, mais de lui donner la priorité. On s’intéressera d’abord au Sens des situations et de leurs éléments avant d’opérer sur eux si cela est encore nécessaire, des mesures ou des photographies.

2) La question du Sens

a) Principes et définitions. Il faut s’attacher tout d’abord à définir plus précisément trois concepts relatifs aux situations : La cohérence, le Sens, la réalité. Ce sont trois termes dont la banalité d’usage cache la véritable importance au coeur de cette nouvelle approche.

La cohérence. Les éléments d’une situation sont liés entre eux par des rapports issus de la logique. Il ne disent ni le Sens général de la situation, ni ce qui fait sa permanence au travers de ses évolutions comme de ses changements d’états et d’éléments. Les situations réelles se caractérisent par cette mobilité tout en conservant néanmoins leur identité.

Entre l’état d’une même entreprise aujourd’hui et dans 10 ans, il y aura probablement d’énormes différences mais elle sera toujours la même. Un individu peut changer de vie et rester lui-même. Une situation peut être examinée sous plusieurs aspects tout en restant unique. Ses éléments peuvent suivre des trajectoires toutes différentes sans qu’elle disparaisse.

L’identité même de la situation provient d’une certaine stabilité de Sens, d’une certaine structure ou logique sous-jacente qui reste permanente au-delà des événements ponctuels. C’est ce que l’on appelle la Cohérence.

La cohérence est ce qui fait que les choses vont ensemble.

La cohérence est aussi l’ensemble des Sens de la situation qui se manifestent dans tels ou tels éléments ou événements. Le Sens général de la situation en traduit une sorte de résultante.

Comme ensemble de Sens et porteuse du Sens général, la connaissance de la cohérence de la situation répond aux problèmes évoqués plus haut.

Le Sens. La recherche du Sens comme celle des cohérences est particulièrement exacerbée dans une période d’incertitude. Mais de quoi parle-t-on en parlant de Sens, en particulier dans le champ de nos préoccupations ?

Deux usages de ce terme sont à éliminer. Ils ont souvent pour effet d’occulter au lieu de mettre en lumière.

Le premier est la référence au « bon sens ». Elle suppose qu’il n’y en a que deux : le bon et le mauvais. Elle suppose aussi que celui qui parle est détenteur du « bon ». Cette référence au « bon sens » est l’exercice d’un pouvoir et non pas d’une élucidation. Même si on fait appel au peuple ou à la terre (bon sens populaire ou paysan) cela n’est qu’une alliance supplémentaire pour celui qui parle (il pourrait y avoir malgré tout une autre analyse de cette expression mais qui dépasse largement son usage habituel).

La seconde acception du terme de Sens est celle de référence. Le Sens d’une chose est sa correspondance à une autre chose ; le rapport, sa relation ou la corrélation d’un élément à un autre. S’il pleut, c’est parce qu’il y a des nuages, le Sens de la pluie n’est pas « les nuages ». Si l’entreprise ne marche pas, c’est parce qu’elle ne fait pas de bénéfices. Qu’il y ait relation entre les deux, c’est probable; mais le Sens de l’un n’est pas la correspondance à l’autre. Pour nous le Sens est ce qui se manifeste et dans l’un et dans l’autre. Cela peut être le même Sens aussi bien que des Sens différents.

Le Sens de la situation ou les Sens qui s’y manifestent sont d’un autre ordre.

Avoir le « Sens des situations », est le fait le plus souvent de l’homme « d’expérience ». Celui qui a du « flair » et qui « ressent » très vite par « intuition » en fonction de ce qu’il « perçoit », a le Sens de ce qui se passe. Il « comprend » ce que « cela veut dire » et où cela peut « conduire ».

Dans cette relation banale se trouve exprimée sous plusieurs facettes le Sens dont on parle. La théorie des Cohérences Humaines montre d’ailleurs qu’il n’y a là que des expressions différentes de la même chose : le Sens.

Le Sens, c’est :

ce qui constitue « l’expérience ». Avoir le Sens de… peut être le fruit de « l’expérience ». Mais « l’expérience » dont on parle n’est rien d’autre que d’avoir le Sens de…

Le Sens, c’est :

ce que permet d’appréhender, le « flair ». Ce terme, même s’il fait appel à un « sens » particulier, l’odorat, fait aussi allusion à la subtilité de ce qu’il perçoit. En effet, le Sens est subtil dans la mesure où il n’est pas matériel.

Le Sens, c’est :

le ressenti ou le vécu. Le Sens de la situation est ainsi toujours porté par des individus qui font la situation ou y sont impliqués. Il ne viendrait à l’idée de personne de chercher le Sens d’une situation ailleurs qu’en présence de quelqu’un qui en porte le Sens ou en a l’expérience.

Le Sens, c’est :

l’intuition. On peut souligner que le Sens n’est pas la raison. On y accède plus par l’intuition, même si la raison vient ensuite en justifier. Le Sens s’ajuste et ne se mesure pas. Le Sens n’est pas la valeur.

Le Sens, c’est :

ce que l’on perçoit : autre allusion aux sens. On dira en effet « flairer », ou « voir » ou « entendre » sinon « toucher du doigt » pour dire « avoir le Sens » ou accéder au Sens des choses. Le Sens est en effet ce qui sensible, accessible par les sens, même si cela n’est pas conscient.

Le Sens, c’est :

ce que l’on comprend. Comprendre une situation c’est aussi en avoir le Sens. C’est l’objectif conscient de toute tentative d’analyse d’une situation dans la mesure où il s’agit d’expliquer ou d’élucider ce qui se produit.

Le Sens, c’est :

ce que cela veut dire. Une situation s’appréhende par ce qu’elle dit : ce qui se manifeste. Mais ce que cela veut dire, c’est ce qui sous-tend ce qui se produit : le Sens de la situation.

Le Sens, c’est :

où cela conduit. La notion de direction et de mouvement apparaît. Le Sens d’une situation, c’est la direction qu’emprunte son mouvement, mais c’est aussi ce qui produit le mouvement. Le Sens est trajectoire et moteur du mouvement de la situation.

L’un des résultats les plus riches de la théorie des Cohérences Humaines est d’avoir mis en évidence, d’une manière plus théorique bien sûr, cet ordre du « Sens » avec ses différentes voies d’accès et ses différents usages.

Dans une situation, il faudra parler du Sens de la situation mais aussi des Sens qui s’y manifestent dont le premier est comme une sorte de résultante. L’ensemble de ces Sens n’est pas aléatoire, il est architecturé dans « ce qui fait aller les choses ensemble: la cohérence ». Elle est ainsi l’ensemble des Sens.

La cohérence est de même ordre que le Sens, comme assemblage ou plutôt comme champ du Sens. L’analyse d’une situation peut être explicitée comme étant l’analyse des Sens qui s’y manifestent ou l’élucidation de sa cohérence et de son Sens.

Les réalités. Le terme de réalité est réservé non plus au Sens mais à ses manifestations, à ce qui l’exprime. La réalité d’une situation, c’est maintenant l’ensemble de ses éléments repérables, visibles, objectivables, mais aussi de leurs rapports objectifs. C’est donc uniquement sur la réalité des situations, telle que définie ici, et non sur leur cohérence et leur Sens que portent la plupart des démarches techniques ou scientifiques. La technocratie consiste à ne s’occuper que de la réalité en ignorant le Sens.

La réalité d’une situation peut changer sans qu’il y ait changement de cohérence. Elle peut changer dans le temps par exemple. On passera d’une réalité à une autre dans le mouvement (celui-ci peut être aussi une réalité). Elle peut changer dans l’espace. Dans un lieu ou un autre la situation ne se manifeste pas à l’identique tout en ayant le même Sens. La situation économique ne se manifeste pas de la même manière d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre, d’un individu à l’autre. Cela peut traduire des Sens différents mais aussi simplement des formes différentes de même Sens. Il est important de savoir le reconnaître. La réalité d’une situation peut aussi changer avec l’observation. Selon que l’on utilise tel ou tel modèle ou instrument d’observation on ne voit pas les mêmes choses. La réalité financière d’une entreprise, sa réalité humaine, sa réalité commerciale, sa réalité régionale, etc. sont différentes tout en exprimant la même cohérence et les mêmes Sens.

On peut donc parler des réalités d’une situation comme de ses différents états. La réalité de la situation pouvant être considérée comme l’ensemble de ses réalités potentielles ou au contraire sous entendre l’une de ses réalités. Il faudra dans ce dernier cas en préciser les repères ou sur quel plan on se situe (plan de réalité).

b) Articulation des concepts et conséquences pratiques. Ces définitions ont amené à distinguer deux ordres dans l’univers des phénomènes et des situations.

L’ordre des réalités. Celui des objets et de leurs rapports objectifs. Il recouvre tout ce qui est objectivable, c’est-à-dire ce que l’on peut prétendre arriver à définir précisément ou à mesurer. On peut y chercher une vérité comme la chose la plus exacte, la plus précise. On peut aussi s’y perdre dans des rationalisations, c’est-à-dire l’établissement de ratios ou des rapports de correspondance, de mesure, d’inégalité… tout en oubliant le Sens. Une décomposition à l’extrême, peut donner une description extrêmement précise de la réalité d’une situation sans en avoir le moindre Sens. On n’accédera cependant au Sens de la situation qu’au travers de ses réalités.

L’ordre du Sens et des cohérences. Il est irréductible à une quelconque réalité particulière. Le Sens pourrait être confondu avec l’une quelconque de ses expressions. Des modèles ou des structures sont quelquefois objectivés de telle manière qu’ils n’ont plus de Sens. L’ordre du Sens sous-tend toutes réalités et par lui se rejoignent l’objectif et le subjectif, le technique et l’humain, le statique et le dynamique. Une autre erreur identique à celle du rationalisme qui ignore le Sens serait d’ignorer aussi les réalités. C’est le piège des croyances, celui aussi d’idéalisations ou d’un certain humanisme. Cela peut se traduire par exemple par la recherche du Sens non pas pour l’action, mais pour une simple contemplation, non sans plaisir certes, mais hors de nos objectifs présents.

Le réalisme se définit comme pragmatique, par la prise en compte et l’articulation des deux ordres du Sens et des réalités dans toutes situations.

Chaque investigation ou analyse de situation devient ainsi prise de conscience des réalités et prise de conscience du Sens, les deux sont à distinguer selon la théorie des Cohérences Humaines.

En définitive toutes les activités en situation peuvent se ramener à ceci :

Analyse

– Prise de conscience des réalités de la situation,

– Prise de conscience du Sens et de la cohérence.

Décision

C’est un choix sur les réalités mais surtout sur le Sens. Cela s’appelle diriger. Si on a élucidé les Sens de la cohérence, on peut choisir un Sens et lui donner réalité dans une expression politique et stratégique.

Pouvoir faire

C’est pouvoir faire advenir les bonnes réalités de juste Sens. Ce pouvoir faire, qui est celui de l’action et de la communication, se joue donc au niveau des réalités et au niveau du Sens. L’action est la mise en forme (actualisation) du Sens. Connaître ce dernier facilite grandement l’action et son efficacité. Communiquer est aussi communiquer du Sens au travers de réalités.

Piloter

C’est pouvoir accéder immédiatement au Sens des événements quotidiens et les orienter dans le Sens de ses choix. Une connaissance de la cohérence de la situation, donc de ses Sens, en est le meilleur instrument.

Toutes ces applications pratiques se fondent donc sur la connaissance et l’utilisation la plus juste du Sens et l’expression ou la traduction la plus exacte des réalités. Présent dans la pratique de bien des gens c’est, de ce fait, banal. C’est par contre tout à fait nouveau lorsqu’on l’utilise systématiquement avec les démarches, méthodes, techniques et outils qu’offre la théorie des Cohérences Humaines.

Avant d’entrer dans la présentation plus précise de ses applications il reste à étudier l’un des principaux outils de la démarche : les cartes de cohérence.

c) Cartes de cohérence. Chaque situation, chaque phénomène auquel on s’intéresse a une cohérence, cette cohérence peut être représentée par une carte de cohérence. La carte de cohérence a deux dimensions ce qui en fait la richesse de représentation en particulier pour ce que l’on y repère : le Sens.

Elle comporte ainsi sur un plan (la feuille de papier) deux axes de référence. Ils sont arbitraires dans le plan lui même mais significatif de cette cohérence elle même, différente d’une autre. Ces deux axes sont orientés à partir de l’origine et forment deux couples de Sens opposés.

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Chaque point représente un Sens qui peut être aussi représenté par le vecteur qui l’atteint en partant du centre. Ainsi un Sens particulier dans la cohérence est repérable sur la carte par son orientation autour du centre et son intensité fonction de la distance au centre. Plus un point est proche du centre moins son Sens est fort et inversement. Lorsqu’on parle du Sens de la situation on peut le repérer dans sa cohérence sur la carte (4). On l’a présenté comme une sorte de résultante, celle des Sens, et en jeu dans les réalités de la situation.

Pour en finir avec la description générale d’une carte de cohérence, il faut se référer aux quatre secteurs découpés par les axes. On parlera des champs de cohérence. Il s’agit ici d’une convention qui ne doit pas faire oublier la continuité dans la carte et l’absence de séparation réelle par les axes qui ne sont que des repères.

Les positions par rapport aux axes et au centre correspondent aux Sens. Par contre ce que l’on portera sur la carte, ce sont les réalités, en fonction de leur Sens. On y trouvera, rapprochés, des éléments de nature très différentes mais de même Sens et, dispersés, des éléments de réalités proches et de Sens très différents dans la situation.

Il y a d’ailleurs là l’occasion de parler d’un paradoxe apparent. Dans la théorie des Cohérences Humaines il n’y a pas d’incohérence, en effet deux éléments considérés comme « incohérents » peuvent, par exemple, être de Sens opposés mais dans la même cohérence. L’incohérence n’est qu’apparente. C’est d’ailleurs en dévoilant la cohérence que l’on résoudra certains problèmes.

Replaçons sur un schéma différentes notions examinées jusqu’ici:

– La projection des réalités sur la carte donne la carte de cohérence de la situation : le (et les) Sens de ses éléments dans une cohérence propre.

– Les différentes réalités d’une situation sont homologues (de même cohérence) un modèle d’une situation doit lui être homologue, la carte de cohérence est un modèle et n’est pas la cohérence.

Avec une carte de cohérence on peut mettre en lumière différentes propriétés des situations et expliciter aussi différentes interventions possibles sur les situations. C’est ce que l’on examinera dans les applications, méthodes et exemples.

II – LES APPLICATIONS : DEMARCHE, METHODES, TECHNIQUES, APPORTS ET EXEMPLES

Après la philosophie générale, les applications seront traitées selon la séquence des quatre types de questions que l’on peut se poser sur les situations. Bien des questions et sur le plan théorique et sur le plan pratique, ne seront pas résolues dans ce texte. Il ne se propose de donner qu’un aperçu de la démarche et de ses applications.

Autant l’une et les autres peuvent être accessibles par le nouveau regard porté sur les problèmes, autant la mise en oeuvre de certaines techniques demande un apprentissage important et ne peut être le fait que de professionnels.

A – ANALYSE DE SITUATION

La question doit être abordée successivement de deux manières. Dans un premier temps, nous allons explorer le champ des applications à partir de différents exemples illustrant ce qui peut être étudié et son intérêt (sur le plan de l’analyse pour l’instant). Nous répondrons ensuite au « Comment ». L’objectif sera alors de retracer les grandes lignes et principes de la démarche méthodologique avec quelques aperçus sur les techniques utilisées.

1) Champs et exemples d’application

L’analyse des situations couvre un champ tellement vaste que l’on ne peut pas prétendre en faire le tour complètement. Il faut savoir qu’elle s’applique avec les mêmes principes et presque les mêmes techniques, pour des situations personnelles, pour des idées, des thèmes scientifiques ou mathématiques, des sujets de recherche ou d’enseignement, des situations d’entreprise, des situations sociales, culturelles, politiques, des situations très localisées ou très générales, des situations très statiques ou en mouvement, présentes ou historiques, etc. Parmi tout cela quelques thèmes seulement seront évoqués.

a) L’analyse de situation pour l’entreprise. On distingue pour l’entreprise trois types d’analyses possibles :

– Des analyses locales internes. Ce sera la situation d’un département ou la situation commerciale, on cherchera la cohérence de la politique humaine pour l’élucider ou pour l’élaborer ensuite.

Les analyses qui conduisent à une carte de cohérence spécifique partent à chaque fois d’un problème ou d’une recherche particulière qui en donne l’objectif et les limites. On verra dans l’examen des méthodes d’investigation que c’est l’une des premières choses à fixer.

Citons quelques exemples d’analyses locales internes :

– cohérence d’un département,

– organisation d’un secteur,

– politique des ressources humaines,

– les communications interpersonnelles ou intersecteurs,

– la formation,

– la politique de développement,

– les méthodes de direction,

– la politique personnelle d’un dirigeant,

– les relations sociales,

– les structures, etc.

– Dans analyses locales externes. Les applications consistent à rechercher la cohérence d’éléments externes à l’entreprise ou qui concernent son organisation et ses objectifs à l’extérieur. Connaître pour une entreprise la cohérence de son marché par exemple, c’est expliquer ce qui s’y joue, son propre Sens dans cette cohérence et pouvoir choisir telle ou telle situation. L’analyse de situations locales externes permet à l’entreprise de mieux les connaître, bien sûr, mais aussi de s’y situer avec moins de risques et plus de lucidité. C’est aussi se donner la possibilité d’agir au plus juste de ses choix et des possibilités offertes par l’environnement. Citons ici quelques exemples :

– analyse d’un marché,

– d’un produit,

– d’un aspect conjoncturel,

– d’un thème prospectif,

– d’un développement régional,

– d’une mentalité culturelle,

– d’un événement important.

– Des analyses globales. Elles portent sur la cohérence générale de l’entreprise. L’intérêt de l’élucidation de la cohérence d’une entreprise est d’en comprendre la personnalité propre mais aussi de situer dans sa cohérence ses réalités internes comme ses réalités externes. La carte de cohérence générale de l’entreprise est, avec les éclairages qu’elle amène, un instrument de direction (choix, actions, pilotage) extrêmement important. C’est aussi un langage commun pour tous ceux qui en sont porteurs. En tant que tel, d’ailleurs, il permet d’exprimer et d’élucider les choses dans leur état et dans leur dynamique.

La carte de cohérence devient aussi un instrument de la prospective de l’entreprise. Nous n’en parlons toujours qu’en tant que résultat et instrument d’analyse, d’autres utilisations seront envisagées par la suite.

Prenons quelques exemples pour illustrer ces applications.

1° cas :

Une entreprise veut se donner un projet de développement à long terme. Elle fait établir la carte de cohérence du développement tel qu’il est conçu par sa direction. Cette carte de cohérence lui fait découvrir qu’il y a en fait plusieurs directions possibles et un choix à faire. Cette cohérence montre en même temps tout ce qui sur le plan interne et externe peut aller dans le Sens du projet selon le choix qui sera fait. Cela permet de compter ses atouts et repérer les obstacles, cela permet aussi d’enraciner le projet dans une situation telle quelle est, c’est-à-dire comme un prolongement dans la même cohérence et non comme un greffe artificielle. La mise en oeuvre du projet est l’expression d’un choix dans une cohérence.

2° cas :

Une entreprise veut lancer un nouveau produit sur un marché concurrentiel et fait établir la carte de cohérence du produit sur le marché. Cette carte met en évidence les différents Sens des relations de la clientèle au produit. Elle élucide de ce fait les comportements correspondants mais aussi les modes de communications adaptés. Cette carte de cohérence permet en outre de positionner les produits concurrents. Elle permet encore de faire converger toutes les actions, toutes les communications dans le Sens choisi pour le positionnement (au passage cela éclaire d’un jour tout à fait nouveau cette notion de positionnement d’un produit).

3° cas

Une entreprise veut se restructurer pour retrouver une nouvelle vigueur en se donnant de nouvelles ambitions. Après tout un travail de réflexion (mené selon la démarche) il apparaît une difficulté pour progresser et un écart entre les souhaits et les réalités. On en vient à établir la carte de cohérence de l’opération de restructuration déjà engagée. Il apparaît notamment que celle-ci porte en elle-même, non seulement sa réussite mais aussi son échec. Les difficultés rencontrées dans l’opération s’éclairent comme ce qui a conduit à l’engager sur le plan historique.

Le résultat le plus important, outre l’éclairage des choix pour la suite des opérations, a été celui d’une prise de conscience assez générale (direction et personnel) et en particulier sur l’incidence réelle de paris de direction générale qui prêtaient à ambiguïté. Sans que cela ait été l’objectif, ce qui impliquait une prise de conscience préalable, la carte de cohérence a permis d’élucider, de clarifier et de modifier des méthodes de direction qui jouaient un rôle important dans une situation où les problèmes semblaient être ailleurs.

Nous reviendrons encore sur les entreprises à d’autres occasions.

b) L’analyse de situation pour des pratiques professionnelles. Elucider la cohérence d’une pratique ou d’un champ professionnel peut réserver bien des surprises. Cela permet d’enrichir les pratiques utiles et de mettre en évidence des choix et des déviances. L’intérêt de la carte de cohérence peut être d’éclairer puis de perfectionner ou développer une activité. C’est le cas par exemple pour le recrutement que nous prendrons comme exemple.

La richesse et la diversité des implications nécessitent ici de grandes simplifications. Nous ne cherchons pas à traiter le problème mais à donner une idée de la carte de cohérence du recrutement. Ses conditions d’élaboration sont passées sous silence pour ne présenter que ses axes, ses quatre champs principaux et quelques indications sur les usages que l’on peut en attendre.

Les axes : Ils résultent de l’étude et ne sont pas donnés à priori.

– L’axe vertical, Choisir/Eliminer. Un premier étonnement provient du fait que cela correspond à des Sens opposés et qu’au lieu d’une équivalence il y a antagonisme dans cette cohérence.

Le Sens de « choisir » :

marque l’intérêt pour ce que l’on recherche, c’est ce que l’on extrait comme plus conforme ou plus juste.

Le Sens « d’éliminer » :

marque au contraire l’attention centrée sur ce qui ne va pas. On cherche à évacuer ce qui ne convient pas.

Les pratiques peuvent être de choix ou d’élimination et seront alors tout à fait différentes.

– L’axe horizontal. Sujet/Objet. il met en évidence comme couple de Sens opposés caractéristiques, le fait que la démarche et les individus peuvent tendre à l’objectivation ou s’appuyer sur la subjectivité. On privilégie dans un Sens ce qui peut être matériel, objectif, technique, formel, de l’autre on sera plus Sensible au sujet, à la personne, aux impressions et sentiments.

Les champs : Combinaisons des axes, ils laissent apparaître des réalités de Sens bien différents.

(1) Dans ce champ les opérations de recrutement mettent en jeu les personnalités, on se fiera aux motivations, aux impressions au cours d’entretiens. On jouera éventuellement sur la séduction ou des réactions émotionnelles (annonces publicitaires, réceptions organisées, etc…). Cependant, l’objectif des pratiques sera de « trouver la faille ». De mettre les candidats en difficulté ou en situation de faire apparaître leurs défauts. Les entretiens d’embauche de ce type sont occupés plus par l’embaucheur que pour le candidat. Le résultat est l’élimination. Le reste sera « quelqu’un de pas mal du tout » puisqu’il n’a pas été éliminé comme mauvais sujet.

(2) Dans ce second champ, dominé aussi par l’élimination, on ne se soucie pas de sujet, mais d’objets. Aussi les techniques d’élimination tendent à être objective. L’élimination d’objets est de l’ordre de la mise au rebut de déchets. Ce genre de recrutement implique bien sûr une certaine vision (un certain Sens) des personnes que l’on cherche. On utilisera des tests, mesures, critères destinés à éliminer objectivement les mauvais profils. Ceux qui en réchappent ne sont généralement pas voués à des fonctions très gratifiantes d’autant plus que l’on dira d’eux: « C’est tout ce que l’on a pu trouver ».

(3) Il s’agit cette fois de choisir. L’objectivité se traduira maintenant par un affinement des techniques et des méthodes. On cherchera à définir le poste de façon précise, on cherchera le meilleur profil. Pour cela on utilisera tout l’arsenal des techniques à disposition et on fera appel à des experts, spécialistes de la chose. La démarche sera une recherche avec des mesures et des opérations précises. Le résultat donnera « le profil idéal ».

(4) Ce champ où se croisent les Sens « choisir » et « sujet » correspond à une recherche subjective. Elle consistera à établir des rencontres où les « atomes crochus » compteront plus que les éléments objectifs. Le recrutement devient plus une cooptation entre de futurs partenaires. La cooptation est un choix et ne se mesure pas par des tests. On y rencontre le « juste partenaire ». Nous dirions qu’il s’agit de la découverte d’une cohérence commune, aux individus et à la situation.

Ces descriptions sommaires tentent d’illustrer rapidement la cohérence, dont suivent quelques utilisations de la carte :

Elle peut éclairer le Sens (principal) de telle ou telle pratique. Il a des répercussions sur la constitution d’équipes de travail et ce que l’on peut en attendre.

Elle peut éclairer le rôle des professionnels du recrutement. Leur fonction n’est pas du tout la même dans les quatre champs. Le quatrième est d’ailleurs peu fréquenté par des professionnels.

Elle peut éclairer le rôle ou la pratique de tel ou tel acte de recrutement, une annonce, un entretien, le rôle des tests, etc.

Elle peut permettre de choisir un positionnement pour les professionnels qui en déduiront le contenu de leurs pratiques en fonction de son Sens. Cela n’intéresse bien sûr que ceux qui se posent des questions de Sens.

Elle peut servir de base à une formation au recrutement pour des personnes qui y sont confrontées.

La carte permet ce genre d’utilisations directes. Les analyses entraînent à d’autres utilisations qui seront envisagées dans les autres chapitres.

c) L’analyse de situation pour des problèmes généraux. Elle peut porter sur un phénomène, un événement, une situation sociale, elle peut sous-tendre une démarche. Nous citerons sans les développer deux exemples :

– Le chômage. Une carte de cohérence de cette situation très actuelle a été établie. On y retrouve les Sens qui correspondent à des attitudes et des comportements très divers des chômeurs. S’éclaire en même temps le rôle et le fonctionnement d’organismes spécialisés dans cette question avec leurs méthodes, leurs discours, leurs problèmes, leurs effets. Les Sens que peut avoir ce phénomène dans le contexte socio-économique général apparaissent aussi. On y retrouve en plus un éclairage du Sens des différents discours ou des attitudes des responsables et des non chômeurs vis-à-vis du problème ainsi que le Sens d’évènements ou situations diverses qui y ont trait.

La cohérence sert à expliciter l’ensemble des réalités de la situation considérée.

– La prospective. C’est un domaine d’utilisation très vaste. Nous n’en évoquerons que le principe. Dans une démarche prospective, on essaie de prévoir notamment l’évolution des situations à moyen ou long terme.

La démarche consistera dans un premier temps à établir la carte de cohérence de la situation en question. Cette carte de cohérence peut donner plusieurs indications:

– Le Sens actuel de la situation qui indique déjà au moins dans une perspective à court ou moyen terme ce qui peut se produire. Ce seront des réalités manifestant ce Sens dominant.

– La carte de cohérence peut permettre de choisir des facteurs significatifs de la cohérence ou de tel ou tel Sens comme objets d’étude et d’extrapolations.

– La carte de cohérence peut, dans son ensemble, ou pour des Sens particuliers, être croisée avec différentes réalités dont on pourrait déjà prévoir par ailleurs l’occurrence pour voir comment elles se joueront.

– La carte de cohérence peut être aussi rapprochée d’autres cohérences notamment de celle des grands courants d’évolution qui favoriseront à terme tel ou tel Sens et par voie de conséquence telle ou telle réalité.

d) L’analyse de situation pour des problèmes culturels. C’est encore un vaste chapitre où l’analyse de situation et les cartes de cohérence sont d’un grand apport. Nous ne citerons que deux exemples :

– La cohérence d’une identité collective. Cela peut être celle d’une région ou d’une population quelconque. Ce qui fait ses particularités, son histoire, ses spécificités, ce qui fait que vont ensemble toutes ses caractéristiques : c’est sa cohérence.

La carte de cohérence d’une identité régionale par exemple permet d’expliciter le et les Sens de ses traditions, de ses mythes, contes et légendes, de son organisation sociale, de ses particularités historiques, des événements de son histoire contemporaine, de son caractère. Elle permet aussi de comprendre sa Sensibilité particulière et donc d’améliorer les communications. Elle permet aussi d’y envisager des interventions et un développement qui lui soit propre en tant qu’expression de sa propre cohérence.

– Les transferts culturels. L’analyse de cohérence permet d’envisager les phénomènes culturels dans l’ordre du Sens et celui des réalités. Une culture ne se définit pas uniquement par ses réalités particulières mais aussi par sa (ou ses) cohérences spécifiques. Cette double analyse permet d’envisager tout autrement les rapports entre cultures. Les problèmes de transferts sont le plus souvent à la fois des problèmes de Sens et des problèmes de réalités. Les choses n’ont pas le même Sens d’une culture à l’autre. De même aussi, les Sens ne s’expriment pas sous la même forme d’une culture à l’autre.

Il y a aussi des Sens et des réalités qui ne peuvent être communiqués d’une culture à l’autre parce que non communs. Il faut alors établir des plateformes transculturelles pour s’en sortir.

L’établissement des cartes de cohérences culturelles générales ou particulières est l’un des moyens tout à fait nouveau offert pour répondre à ces problèmes.

La notion de cultures différentes peut être ramenée à celle de populations différentes. Cela se pose aussi bien pour des rapports internationaux que des rapports de régions, de professions, de langages, de classes, etc.

Nous en resterons là pour les champs et exemples d’applications de l’analyse de situation par la méthode des cohérences en insistant sur le fait que ce n’en est qu’un aperçu.

2) Méthodologie de l’analyse de situation

Pour répondre au comment, il faut prendre la séquence type de ce que peut être une analyse de situation. Au passage se soulèveront différentes questions théoriques ou pratiques auxquelles nous ne pourrons pas toujours répondre entièrement ici. Il faut savoir cependant que la théorie des Cohérences Humaines ne les laisse pas dans l’ombre, elle explicite et conduit la démarche d’investigation elle même, ne serait-ce que comme situation.

Cette méthodologie peut très bien convenir pour une « analyse sauvage » assez rapide que pour une opération de grande envergure. Il faut souligner à ce sujet, que l’opération dépend notamment de la justesse d’analyse dont on a besoin. On peut se contenter d’analyses relativement grossières, mais avoir besoin aussi d’ajustements très subtils. De là dépend l’envergure du travail et quelquefois aussi les techniques utilisées. Dans l’examen méthodologique sera envisagé l’établissement d’une carte de cohérence. Une intervention comporte toujours trois phases :

1) L’ajustement

2) L’investigation

3) La communication des résultats.

Elles peuvent quelquefois se recouvrir mais leur présence est indispensable. Il faut noter dès maintenant le poids donné à la première et la troisième phase qui, on le comprendra, tout à l’heure sont particulièrement importantes dans cette approche.

1) L’ajustement. Avant d’engager l’analyse proprement dite, il est toujours nécessaire, surtout dans cette démarche, d’ajuster précisément trois choses :

– Le Sens de l’intervention. Pourquoi intervient-on ? Cette question n’a jamais de réponse évidente et demande attention. Elle se pose d’ailleurs pour le demandeur, l’intervenant et la situation d’intervention.

Le demandeur peut très bien attendre réellement autre chose qu’une élucidation (caution, camouflage, occultations, etc.). C’est un phénomène assez courant qui interdit toute pratique avec cette méthode. Il vaut mieux n’y pas perdre son temps et laisser opérer d’autres experts. Le demandeur peut avoir simplement besoin d’y voir clair dans son problème. L’intervenant a tout intérêt à y prêter une écoute attentive, pour lui-même et pour aider son client. Ces techniques particulières sont aussi à disposition pour des cas complexes ou d’enjeu très important.

L’intervenant aura pour sa part à s’ajuster sur le Sens et cela implique pour lui des exigences à la mesure des ambitions, cela donne aussi les limites de ses capacités d’intervention à la mesure cette fois de ses capacités d’élucidation de son propre Sens.

La situation d’intervention, partenaires et contexte, doit être compatible avec ce qui précède et avec le terrain à explorer. En d’autres termes on dirait que les conditions doivent être favorables pour travailler convenablement. Il s’agit ici particulièrement d’une question de Sens.

– Le centre d’intervention. Il n’est pas rare que dans un premier temps le regard soit dirigé ailleurs qu’au centre des vrais problèmes. Il s’agit d’établir la carte de cohérence du bon problème et non pas d’un autre. Pour cela il faut repérer le centre de la cohérence à révéler, c’est-à-dire ce sur quoi il faudra focaliser l’attention. Un approfondissement du problème conduit à cette localisation.

– Le choix des porteurs de Sens. Toujours dans une première phase d’ajustement, il faudra repérer et choisir les personnes qui « détiennent » le problème. Le Sens des situations dont on parle n’est porté que par des personnes, c’est avec quelques unes que les investigations vont être opérées. Ces personnes sont celles qui ont un « vécu » assez important de la situation, qu’il soit conscient ou non. Le repérage des « porteurs de Sens » contribue à ajuster l’intervention. Il est par ailleurs nécessaire pour choisir ceux avec lesquels les processus d’analyse pourront être pratiqués. Ce choix porte sur des critères de personnalité, d’opportunité, de positionnement par rapport à l’intervention et au problème. Il est souvent délicat parce que jamais neutre pour les suites d’une intervention.

2) L’investigation. Elle doit toujours être menée de manière souple tout en respectant une grande rigueur méthodologique. Elle consiste en effet en un travail de prise de conscience qui implique les personnes et la situation et doit de ce fait être menée avec justesse et précautions. L’établissement d’une carte de cohérence comprend toujours quatre phases articulées successivement, simultanément ou de manière intérative.

– L’activation. Pour élucider les Sens d’une situation, il faut commencer à les réactiver chez les porteurs de Sens choisis pour y procéder. Quelquefois une simple discussion en groupe y suffit. C’est une sorte d’échauffement ou d’imprégnation sur le sujet à traiter. Le but de l’activation est aussi de mettre en jeu la bonne question à étudier. La phase précédente aura permis de canaliser ici l’orientation de cette activation. Les phénomènes de groupes, par les résonances inter individuelles qu’ils provoquent, sont particulièrement propices à une bonne activation. Le travail de cette phase peut être plus ou moins difficile et quelquefois nécessiter des techniques plus complexes, surtout si des problèmes relationnels ou des problèmes d’insécurité personnelle s’y présentent.

– La production des réalités homologues. L’activation opérée, immédiatement après (à chaud donc) on va chercher à faire s’exprimer un grand nombre de réalités homologues à la situation étudiée. La phase précédente en a activé les Sens (la cohérence) qui peuvent s’exprimer sous des formes multiples, très diverses. Faire s’exprimer ces Sens dans plusieurs univers (fantastiques, imaginaires…) amènera ainsi, sous forme verbale ou autres, des réalités homologues. On utilise notamment pour ce faire des techniques associatives ou des techniques qui s’apparentent à celles de la créativité ou aux méthodes dites projectives. Tout ceci est destiné à faire émerger une connaissance relativement inconsciente de la situation. Les « réalités » obtenues sous formes d’histoires, descriptions, phénomènes, etc. seront d’autant plus utiles qu’elles porteront sur des univers très éloignés les uns des autres. « Ce » qui leur est commun, « ce » qui les fait aller ensemble, c’est le Sens et la cohérence recherchés. Plus les réalités obtenues sont multiples et éloignées, plus il sera facile d’en extraire les Sens communs sans les confondre.

– Structuration de la carte de cohérence. Etablir une carte de cohérence consiste en quelque sorte à projeter sur un plan, les différents Sens et la cohérence du problème étudié. Ce phénomène de projection spatiale du Sens est le produit de mécanismes mis en lumière par la théorie des cohérences humaines.

Une des techniques consiste à replacer intuitivement et en groupe les différentes « réalités » sur l’espace vierge d’un tableau. Leurs positions relatives permettent des regroupements de nature à faire émerger les Sens communs qui les rassemblent. En balayant, dans l’espace du tableau, les différents regroupements géographiquement opposés par rapport au centre, vont se dégager des axes de repérage. Ces axes, dont les Sens opposés sont réexprimés le plus justement possible, explicitent les différents lieux du tableau, leurs combinaisons génèrent les espaces intermédiaires dont ils sont chacun bissecteurs.

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Le procédé fait appel a des mécanismes peu connus qui ne peuvent être justifiés ici. Pour mémoire, cette phase délicate met en jeu des phénomènes de conSensus et demande une conduite de groupe très particulière. Elle demande aussi une maturation et une réflexion pour arriver de proche en proche à une grande justesse. Aussi il est prudent de prévoir des plages de temps très souples pour y procéder, éventuellement avec un très petit nombre de personnes pour la deuxième partie. Y revenir à plusieurs jours d’intervalle consolide la maturation et la justesse des résultats. Il ne faut pas oublier que c’est pour l’intervenant et ceux qui y participent le moment des premières prises de conscience (émergence de la cohérence) à partir des matériaux rassemblés.

– Elucidation des réalités de la situation étudiée. C’est la phase d’éclairement et de dévoilement. Une fois la carte et ses axes bien ajustés, bien ressentis, on projette sur elle les éléments des réalités qui font l’objet de l’étude. Ces réalités sont réparties dans les différents secteurs de la carte selon leur Sens. Les prises de conscience ou élucidations se produisent très exactement en faisant ce travail. On peut ainsi faire l’inventaire des réalités ou des éléments de la situation qui présentent un intérêt et les porter successivement sur la carte. Cette opération consiste cas par cas à en analyser le Sens avec la carte comme outil. Elle conduit à dresser peu à peu dans chaque secteur de la carte différents paysages de la situation constitués des éléments de même Sens.

C’est ainsi que s’achève l’analyse du Sens de la situation sur la carte de cohérence. Il faut cependant souligner que l’on dispose avec ce travail et cette carte d’un outil de travail extrêmement utile dont on verra plus loin les usages ultérieurs.

Il est possible par ailleurs de mener des investigations plus poussées selon les besoins, soit pour dégager un Sens dominant de la situation ou de l’une de ses réalités, soit pour analyser plus en profondeur un élément particulier quitte à renouveler pour celui-ci le même processus d’investigation en établissant sa carte de cohérence propre.

3 ) La communication des résultats. Dans une démarche classique on peut se contenter quelquefois d’un simple rapport pour conclure l’intervention. Ici le problème est différent. En effet si le but de l’opération était l’élucidation du Sens, de la cohérence de la situation, il n’est atteind que lorsqu’il y a eu prise de conscience de la part des intéressés. Or il ne suffit pas de dire les choses, encore moins de les écrire pour que les prises de conscience se produisent chez les interlocuteurs. Il est ainsi nécessaire d’envisager la communication des résultats comme une phase particulière. Elle consiste à mettre en oeuvre un véritable processus de prise de conscience auprès des intéressés (individus, groupes d’individus, populations entière). La carte de cohérence en sera un outil privilégié. Selon les circonstances mais aussi les objectifs visés, une stratégie particulière doit être conçue et mise en oeuvre pour y parvenir. Notons simplement ici que cette stratégie visant à des prises de conscience est fondée sur la séquence :

– activations,

– productions de réalités,

– prise de conscience du Sens.

mise en oeuvre autour de parties ou de la totalité de la carte de cohérence. Une grande variété de méthodes est à disposition. Elles ressortent pour une bonne part d’une pédagogie collective.

On trouvera aussi des indications complémentaires plus loin dans la partie concernant l’action qui peut découler d’une telle analyse de situation. En effet, la communication des résultats d’une intervention peut aussi être considérée comme une première action qui suit l’investigation compte tenu des choix opérés. De ce fait cette phase, dans la pratique, est très souvent conçue dans le cadre des stratégies décidées. La manière (le Sens) de communiquer les résultats, d’en faire prendre conscience est déjà une orientation (un Sens) pour le futur. Elle ne doit jamais être prise à la légère.

FIN DE LA PREMIERE PARTIE